Travail dissimulé : remettre les idées en place

Le travail dissimulé constitue pour l’état et la société un manque à gagner important en termes de participation au financement de la société (TVA, impôt sur le revenu, cotisations d’assurance maladie, d’allocations familiales, de retraite, etc. ….).

Cependant, la loi ne retient pas qu’il existe au moins deux complices pour commettre l’infraction de travail dissimulé (l’employeur et le salarié).

Pour le législateur, il y a un acteur froid et cynique d’un coté, et une victime, partie faible du rapport contractuel de travail.

Ce postulat de départ ne peut qu’encourager le travail dissimulé, surtout dans les professions où il existe une tension sur le marché du travail, c’est-à-dire un manque de main d’œuvre.

En effet, en cas de travail dissimulé, l’employeur est sanctionné très sévèrement. En sus des sanctions pénales de travail dissimulé (tribunal correctionnel), l’employeur peut être condamné à verser au salarié les salaires qui n’ont pas été déclarés (double perception par le salarié au bout du compte), à payer à celui-ci des sommes plus ou moins importantes selon les circonstances, et, dans l’hypothèse où le contrat à pris fin depuis (indemnité pour rupture du contrat, non respect de la procédure, …), une indemnité spécifique égale à 6 mois de salaire, quelque soit le motif de fin de contrat (fin de CDD, démission notamment) ( Article L 8223-1 du code du travail).

L’employeur devra verser les cotisations sociales afférentes, et perdra les allégements de charges (dits Loi Fillon) et déductions (dites loi TEPA) dont il a pu bénéficier (Article L 133-4-2 du CSS).

Le salarié, quant à lui, ne risque rien !

Il ne peut que percevoir des indemnités et salaires supplémentaires.

Victime présumé d’un employeur décrit de façon subliminale comme un infâme capitaliste assoiffé de sang prolétaire, le salarié ne pourra pas être considéré comme complice d’une telle fraude.

Rares sont les cas où le salarié complice, au moins, et parfois instigateur, ne touche pas (tous) les fruits de sa propre turpitude.

La Cour d’Appel de Poitiers vient de rendre un arrêt qui réagit positivement à une telle situation, mais incomplètement du fait de la loi.

Les faits :

Un jeune restaurateur exploite sous la forme d’une SARL un petit restaurant qu’il vient de racheter. C’est sa première affaire, il est encore naïf.

Il embauche un salarié en qualité de serveur sous CDI à temps partiel. L’affaire marche mieux que prévue dans les premiers mois d’exploitation, en été, et il souhaite faire faire des heures complémentaires à son serveur. Celui-ci est réticent. Difficile de recruter pour un temps de travail d’appoint une autre personne, d’autant plus que le temps d’heures complémentaires nécessaire est inférieur aux 24 heures hebdomadaires. Le salarié demande à être rémunéré « au noir » au motif qu’il perçoit des indemnités de Pôle Emploi. Contraint d’accepter, pris au dépourvu, mais peut-être doté d’une forme d’instinct, l’employeur rémunère ces heures complémentaires avec des chèques tirés sur son compte bancaire personnel.

Quelques mois plus tard, le salarié prend acte de la rupture aux torts de l’employeur et l’assigne devant le Conseil de Prud’hommes.

Ses demandes :

 

Il réclame la requalification de son emploi en un emploi à temps complet, de nombreuses heures supplémentaire, et, l’employeur étant en tort selon lui, un préavis, des congés payés sur préavis, une indemnité pour non respect de la procédure de licenciement, une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et l’indemnité spécifique de 6 mois de salaire pour travail dissimulé.

Les décisions rendues :

 

L’affaire parait difficile pour l’employeur qui a commis toutes les erreurs, et qui semble se trouver pris dans la nasse du droit du travail.

Toutefois, sachant que le salarié indélicat a cumulé son salaire déclaré, ses rémunérations non déclarées et un complément d’indemnité de Pôle Emploi, l’employeur obtient la production des relevés de Pôle Emploi. Le Conseil de Prud’hommes rejette les demandes d’heures supplémentaires, le salarié n’apportant pas les éléments suffisants pour étayer sa demande au regard des éléments produits par l’employeur et démontrant que de telles heures n’avaient aucune raison d’être au regard de l’activité du restaurant.

Pour le Conseil de Prud’hommes, accueillant favorablement et avec bon sens l’argumentation de l’employeur qui rappelle que c’est le salarié qui, à l’origine, n’a accepté de faire les heures complémentaires que si elles n’étaient pas « déclarées », la fraude du salarié corrompt tout et sa demande ne peut prospérer.

Le salarié fait appel.

La Cour d’Appel confirme le jugement, et y ajoute une condamnation du salarié à verser à son ancien employeur une indemnité pour le dédommager du préavis non exécuté, puisque la prise d’acte produit les effets d’une démission, sans préavis effectué par le salarié.

La fraude du salarié l’empêche de pouvoir tirer profit des conséquences de la non-déclaration d’heures de travail à sa demande.

(CA Poitiers, Chambre sociale, arrêt n° 1092 du 5 octobre 2016, RG 15/02150)

Moralité :

L’employeur a échappé au pire. Il n’a cependant pas été dédommagé du cout de sa défense devant les juridictions, ni des soucis qu’il a enduré durant les 18 mois qu’ont duré la procédure.

Les salaires versés ainsi resteront « dans la poche » du salarié, non déductibles des revenus de l’employeur.

Le salarié indélicat n’a pas été condamné à rembourser à Pôle Emploi les indemnités injustement perçues. Il ne sera pas imposé sur les sommes perçues et non déclarées. Il ne subira pas de sanction de la part de Pôle Emploi qui n’est pas informé de la procédure.

Le code du travail prévoit que lorsqu’un licenciement est reconnu sans cause réelle et sérieuse, le juge ordonne en outre le remboursement à Pôle Emploi par l’employeur tout ou partie des allocations chômage versées, dans la limite de 6 mois, même si Pôle Emploi n’intervient pas à la procédure (Dans le cas des entreprises occupant plus de 10 salariés et si le salarié concerné a au moins 2 ans d’ancienneté – Article L1235-4 Code du travail).

Le code du Travail n’a pas prévu, en cas de travail dissimulé, d’obligation, ou même la simple possibilité, de remboursement par le salarié des sommes perçues en cumul avec une activité rémunérée non déclarée.

C’est vrai que ce salarié restera malgré tout une victime et non un complice (et encore moins un instigateur).